Wednesday, February 8, 2012

Sur la route de Ouarzazate


30 janvier : c’est le petit matin du coq à l’âne et c’est un peu ce que nous faisons, topographiquement parlant, puisque nous quittons la côte et ses envoutantes plages, pour nous diriger vers l’intérieur, direction Marrakech. C’est d’ailleurs à l’intérieur des terres, là où on devine immédiatement qu’il y a de l’eau car la terre est cultivée et des choses poussent, que l’on retrouve la seule et unique région où pousse l’arganier. Cet arbre produit un fruit (et une noix) dont on extrait l’huile d’argan. Si vous allez n’importe où au Maroc, on va tenter de vous vendre de l’huile d’argan et on va vous regarder avec des yeux ronds si vous avouez ne pas connaître.
De façon générale, ce sont des coopératives féminines qui s’occupent de la production. Cette huile est produite en première, deuxième et troisième pression et sert à la cuisson, mais également pour des soins cosmétiques. De façon traditionnelle, on lui reconnaît toutes sortes de propriétés thérapeutiques – du traitement de la peau sèche et de l’eczéma jusqu’aux problèmes de foie. Mais voilà que la tradition a reçu un coup de pouce scientifique, il y a quelques années, alors qu’ une chercheuse de l’Université de Rabat – capitale du Maroc - a mené une grande étude scientifique qui a confirmé les vertus de cette huile et ses bénéfices pour la santé, puis en collaboration avec CRDI au Canada elle a mis sur pied des coop féminines. Résultat : explosion sur le marché (surtout en Europe) de cette huile.
Mais les Européens ne sont pas les seuls à s’amouracher de l’arganier; les chèvres aussi, que l’on peut voir en train d’en brouter les feuilles. Et si les feuilles sont trop hautes, qu’à cela ne tienne, les agiles chèvres... grimpent dans les arganiers pour se régaler. Eh oui, au Maroc, les chèvres poussent dans les arbres...

Les chèvres grimpeuses dans un arganier.


Nous parcourons donc les plaines qui nous ramènent à Marrakech, où nous sommes une fois de plus soufflés par la vision du Haut Atlas couvert de neige. D’ailleurs, il semble y en avoir plus que lorsque nous sommes arrivés 2 semaines plus tôt. Ce qui serait logique puisqu’on nous a dit que la route a dû être fermée 2 fois à cause de tempêtes de neige. Pendant que nous admirons ces montagnes, belles, majestueuses et lointaines, Mohammed nous dit : “Ben oui, on les traverse cet après-midi!” Ah bon.

Il faut mentionner tout de suite que circuler sur les routes du Maroc n’a aucun rapport – la plupart du temps – avec la circulation sur les routes du Canada. Premièrement, il n’y a pas toujours 2 voies. Deuxièmement, quand on traverse un village, tout le monde est dans la rue sur la “main” et il faut rouler à vitesse d’escargot. Troisièmement, dépasser est une complexe danse de conventions et de signaux bien compris des Marocains, mais plutôt obscurs pour nous et qui nous rend, disons, anxieux. Notre route qui, tout doucement, dans une chaude lumière ocre, sillonne de somptueuses vallées riches en végétation et peuplées de prospères villages, eh bien, elle devient de plus en plus abrupte et tortueuse et... étroite. À se demander parfois si 2 autobus qui se rencontrent ont VRAIMENT assez de place pour se croiser? Et dans les pentes à pic, les gros camions sont lents, lents, lents... et il faut les dépasser! La première fois qu’il s’élance, Mohammed nous dit: “Faites-moi confiance, je sais ce que je fais.” Crispation.... Puis, soulagement. 4 ou 5 dépassements plus tard, on comprend mieux comment ça marche et on relaxe un peu. Car il faut le dire; c’est la seule route qui traverse vers Ouerzazate. Donc, tout le monde doit l’emprunter, les gros autobus touristiques inclus. Tout ça pour dire que 200 km, ça représente un bon 4 heures.
Alors on grimpe, on grimpe et les villages sont de moine en moins fréquents et la lumière perd de son intensité et devient plus froide. Les terres fertiles font place aux pierres; la verdure à la neige. Ben oui, on a quitté le Canada en janvier pour fuir cette neige qui nous rattrappe aujourd’hui! Ces montagnes ont un je ne sais quoi des Rocheuses, mais il y pousse quand même des cactus. Le col que l’on doit traverser, Tichka (2260 mètres d’altitude) est cet étroit lacet que l’on voit au loin, en haut, qui zigzague le long de la montage et où les garde-fou sont presqu’inexistants, alors que les précipices qui s’offre trop généreusement au regard sotn vertigineux. Et pourtant, avec Mohammed, nous sommes en confiance. C’est vrai qu’il sait ce qu’il fait. Mais c’est une route qui demeure épuisante et pour lui, et pour nous. Beauté et dangers, le leitmotiv du Maroc. 

Plaine, contreforts et cîmes enneigées.

Col de Tichka, dans le Haut Atlas. Altitude: 2260 mètres.

Nous traversons le Haut Atlas , et nous revenons sur une plaine qui nous mène en fin de journée à Ouarzazate. À l’entrée de la ville, des studios de cinéma nous accueillent. Ils sont fermés à ce temps-ci de l’année, mais l’été il y a des visites offertes pour voir  les décors et les vestiges des nombreuses productions tournées dans la région: Astérix et Obélix, Gladiator, Indigènes, Kindom of Heaven, pour n’en nommer que quelques-unes. D’ailleurs, Mohammed nous dit que le comédien Jamal a investit dans ces studios. Toutes ces productions ont laissé une trace indélébile sur la ville qui cultive cette réputation de ville de cinéma et où les résidents conservent toutes sortes de souvenirs de cette belle époque ou les productions se bousculaient aux portes. Il s’en tourne encore, bien sûr; mais moins fréquemment. assan, le propriétaire du restaurant La datte d’or, a d’ailleurs décoré son commerce avec les photos autographiées des stars de passage :  Gérard Depardieu, Jamal, etc... C’est là où nous soupons (tajines de viande aux pruneaux) avant de nous réfugier dans Le petit Riad, un lieu de rêve tenu par Fatima et son artiste de mari. La cour intérieure, avec l’inévitable et magnifique fontaine est décorée avec soin dans le détail, avec goût et avec nombre des oeuvres réalisées par le mari de Fatima. Notre chambre contient un lit à baldaquin; c’est la première fois que nous couchons dans un tel lit. Il y a une terrasse avec une grande piscine; il fait malheureusement trop froid pour s’y baigner, mais c’est sous le soleil au bord de la piscine le lendemain matin que nous prenons le délicieux- et copieux- petit déjeuner qu’ils nous ont préparé: patisseries, pain, 2 types de crêpes, jus, café, yogourt.... miam!
Puis nous prenons la route. Mais avant de quitter Ouarzazate, nous demandons à Mohammed d’aller voir en plein jour, la vieille médina et le palais du Pacha, maintenant abandonné, dont nous n’avons pu que deviner la silhouette dans la noirceur lors de notre arrivée la veille.  
Au début du XIXe siècle, la Pacha de la région s’était fait construire un palais. Il a également érigé la médina pour les 250 familles, berbères et juives, qui avaient participé à la construction et qui y travaillaient toujours.
Pendant que nous nous promenons à  l’extérieur, un guide nous invite à visiter l’intérieur de section encore habitée. Nasser, environ 60 ans, calme et lumineux. Il est descendant d’une des 250 familles. On leur a donné leur maison lorsque le palais a été repris par l’état, au moment de l’indépendance du Maroc, en 1956. Il est aussi le président de l’association des figurants de Ouazazate et a fait de la figuration dans plusieurs films – surtout des films historique religieux. Il dégage un charisme très naturel.  
Nasser, guide de la médina de Ouarzazate et président de l'association des figurants.

Nasser nous fait donc faire le tour puis nous amène rencontrer Mohammed, un artiste visionnaire, qui tente de faire revivre Ouarzazate grâce un genre de tourisme culturel et écologique. Son but: faire vivre aux touristes la vraie vie traditionnelle des Berbères dans tout ce qu’elle comporte: le logement, la nourriture, les arts, l’artisanat, l’agriculture, les sports... Il tente de réunir toutes les associations pour mettre en oeuvre ce grand projet de société (c’est le cas de le dire) où le vieillard autant que l’enfant aurait son rôle à jouer et verrait sa participation valorisée. Ses yeux brillent et il s’anime en nous faisant visiter la maison qu’il est en train de retaper pour qu’elle redevienne LA maison traditionnelle berbère. Le deuxième étage sert de galerie et studio d’art.  L’autre Mohammed, notre accompagnateur, l’écoute aussi avec intérêt. C’est exactement le genre d’expérience qu’il aimerait intégrer à ses circuits touristiques. Nasser et Mohammed nous disent que Ouarzazate est un peu reléguée aux oubliettes lorsque vient le temps de distribuer les deniers publics pour encourager le tourisme et l’industrie du cinéma: les productions se font maintenant ailleurs et la région en souffre. Ces deux hommes partagent leurs inquiétudes et leur vision avec nous et nous les écoutons avec intérêt. Nous soupçonnons que ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, en ce qui concerne notre guide.
Nous prenons donc la route, qui sera longue aujourd’hui et nous mènera aux portes du désert.

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