L’aube teinte à peine le ciel du côté des montagnes quand
nous partons en taxi de Taghazout. Pas un chat – ou une chèvre – sur la route à
cette heure. Le chauffeur, pensant nous plaire, a syntonisé une station
française de dance-music. I’ve gotta feeling that tonight’s
gonna be a good night… Les Blackeyed Peas
sont de drôles de compagnons de départ.
À l’aéroport d’Agadir, la préposé nous donne notre première
carte d’embarquement, jusqu’à Casablanca. Elle nous informe qu’on devra se
présenter au comptoir d’Etihad pour nos autres cartes, Casablanca-Abu Dhabi et
Abu Dahbi-Amman. À l’immigration, on nous dit qu’avec 12 heures d’escales, on
voudra quitter l’aéroport, donc on nous propose de retourner au comptoir de
Royal Air Maroc, de retirer nos bagages, etc… un peu découragés de devoir
trainer nos deux grosses valises alors qu’elles sont déjà étiquetés all-the-way-to-Amman, on décide que
rester dans l’aéroport, écrire et faire le point serait une bonne idée plutôt
que de sauter dans un taxi, faire les 35 km jusqu’en ville, courir pendant 5
heures, etc.. Les douaniers nous donnent un drôle de regard mais nous étampent
quand même le tampon de sortie du pays dans nos passeports.
Mauvaise idée.
À Casablanca, à 10h, on nous signale que puisque nous
n’avons pas de cartes d’embarquement pour nos deux prochains vols, on ne peut
pas entrer dans l’aéroport – il faut attendre l’arrivée du personnel d’Etihad
dans cette section transit, purgatoire entre le tarmac et l’immigration. Quand
arrivent-ils? 16 heures. Six heures à passer dans un couloir avec quelques
chaises. Pas d’eau. Pas de nourriture. On s’insurge, on passe d’agent en
commissaire de la douane : rien à faire, ce n’est pas leur problème. C’est
celui d’Etihad. On nous refoule dans le couloir.
L'entre-deux-mondes: salle de transit, aéroport de Casblanca. |
Un copain d’infortune, Junaid,
est arrivé à 8h de Guinée-Bissau. Indien dans la jeune trentaine, originaire de
la région de Bombay (ou Mumbaï, si vous préférez) il possède sa compagnie de
fabrication de cuves géantes pour fondre le métal ‘scrap’, basée à Dubaï. Le
recyclage des déchets de plomb de l’Occident se fait beaucoup dans les pays
africains pauvres et sans règlementation environnementale. Junaid vient de
passer 2 mois et demi à installer de l’équipement en Guinée. Quand il est parti
de chez lui, son fils avait 15 jours. Il s’ennuie, n’a pas dormi depuis 24
heures, veut revoir sa famille, veut surtout dormir. Trois autres hommes, des
Guinéens, composent le reste de notre petite troupe d’irréguliers. Ils sont partis
de Lyon pour retourner en Guinée. Ils ont des problèmes de visa. Sans argent,
sans visas, ils sont à la dérive dans l’entre-deux monde du Transit. Ils ne
savent pas s’ils partiront demain, ou après-demain, ou plus tard encore.
Heureusement, une dame de l’aéroport leur apporte des sandwiches et des sodas. Ils
ne mourront pas de faim aujourd’hui. On entr’aperçoit les problèmes que des
milliers d’immigrants vivent quand ils ne connaissent pas les systèmes avec
lesquels ils ont à composer.
Comme on dit chez nous, quand on se compare, on se
console.
Junaid, prisonnier lui aussi du transit. Au moment de la photo, il y avait 30 heures qu'il n'avait pas dormi. |
C’est finalement à 17h45 qu’arrive LA représentante
d’Etihad. Après 20 minutes de paperasse administrative hallucinante (elle a
besoin de notre numéro de billet d’avion Amman-Istanbul, un vol qu’on ne
prendra pas avant 10 jours!!!) elle nous imprime finalement nos cartes
d’embarquement. L’avion décollera à 20 heures. On a le temps de manger un
morceau.
On vient de vivre notre première chicane d’amoureux avec le Maroc, au
moment du départ, sans savoir si la vie nous donnera un jour l’occasion de se revoir.
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