Wednesday, February 29, 2012

La Jordanie, chapitre 1




Au lendemain de notre aventure kafkaesque à Amman, après avoir récupéré, s'être réchauffés, avoir profité de la piscine (les saunas, bains de vapeur et jacuzzi sont séparés pour les hommes et les femmes, seule la grande piscine est commune) nous allons chercher notre amie Florence à l'aéroport. Plus compliqué qu'il ne le paraît; il faut ABSOLUMENT avoir des directives claires, préférablement carte à l'appui, pour se retrouver dans cette ville de cauchemar routier pour tout automobiliste néophyte du Moyen-Orient. Les rues, toutes en courbes, ont des noms très longs, mal indiqués, et qui changent d'une carte à l'autre; les artères principales sont interrompues par des tunnels avec des rond-points par-dessus, et parfois le tunnel bifurque pour nous désorienter complètement lorsqu'on en émerge. Les automobilistes conduisent de façon désordonnée, et les cartes sont approximatives. Bref, même sur les chemins que nous sommes venus à connaître (vers l'aéroport, par exemple) notre exclamation la plus fréquente - sur fond d'angoisse - a été: "Hé! On n'est jamais passés par ici; c'est pas le bon chemin!" Et si vous vous trompez, difficile de tourner à gauche avec les terre-plein; les Jordaniens ont instauré un système de voies de "U-turn" pour revenir sur ses pas. Dernier détail: lorsque sur une autoroute on voit une sortie annoncée dans une direction, si on revient sur ses pas, elle n'est pas annoncée dans l'autre direction. Nous sommes vite devenus des experts en virages en U.

Cela dit, on réussit tant bien que mal à aller chercher Florence, notre amie d'Ottawa qui vient nous rejoindre après avoir participé à une compétition de ski de fond en France, dans les conditions sibérienne qui se sont abattues sur l'Europe mi-février, et nous rentrons à l'hôtel.

Réunion des copines.

Conciliabule de groupe: on devait passer quelques jours à Amman, mais la météo demeure misérable partout dans les environs où nous voulons aller. Mais dans le sud, à Aqaba, c'est le beau fixe dans cette ville balnéaire sur le bord de la mer Rouge. Qu'à cela ne tienne, on se refait un itinéraire et, le lendemain, on prend l'autoroute du Désert pour parcourir les 320 km qui nous séparent d'Aquaba.

Au début, le paysage est désertique (d'où le nom); plaines de rocailles et de pierres blondes, avec quelques nuages de sable qui s'élèvent à l'horizon. C'est parfait: l'occasion de se rattraper avec Florence, se raconter nos aventures respectives. Puis le paysage change, des montagnes se dressent et la route commence à grimper. Au point le plus haut, il y a de la neige au sol. On apprendra plus tard que là où nous passons, la route avait été fermée tout l'avant-midi en raison d'une tempête et qu'elle venait d'être rouverte. Si la route vers Aqaba descend, le mercure, lui, monte.

Il a neigé sur la route vers Aqaba.

Aqaba, première ville prise par Lawrence d'Arabie avec sa troupe de bédouins en 1917, est une jolie petite station balnéaire. Notre hôtel donne sur la plage de la mer Rouge, où on se dépêche d'aller se tremper les orteils. Il fait chaud, il fait soleil, on respire. De là, on voit clairement la ville d'Eilat en Israël et, juste à côté la rive égyptienne. Nous sommes également à 17 km de l'Arabie Saoudite; un véritable carrefour.

Aqaba, ville balnéaire sur la Mer Rouge.


La ville d'Eilat, en Israël, quelques kilomètres mais des années-lumières de distance.
Le gérant de l'hôtel organise 2 fois par mois des cocktails pour les invités de l'hôtel et il y en a un ce soir-là auquel nous sommes invités. C'est l'occasion de rencontrer des gens et d'en apprendre plus sur la vie en Jordanie.  Suha, une jeune femme chrétienne native de Bethléem, qui a fréquenté l'école privée à Aqaba, a eu l'occasion de voyager et nous avoue qu'elle rêve de travailler dans d'autres hôtels de la chaîne Intercontinental ailleurs dans le monde. Elle nous dit combien, dans son domaine des services hôteliers, les femmes sont plus compétitives - de façon plus appliquée et sérieuse que les hommes - et que finalement, parce qu'elles sont moins nombreuses sur le marché du travail, elles ont de meilleures chances d'avancement. Elle a les yeux brillants, elle est jolie, elle a la vie devant elle. Comme beaucoup de gens que nous rencontreront, elle n'aime pas Amman. La capitale de la Jordanie est la mal-aimée des gens qui n'y habitent pas.

Les pieds dans l'eau de la Mer Rouge.

On se couche tôt pour entamer le lendemain une expédition dans le désert du Wadi Rum. On a échappé au temps maussade avec succès, on a survécu au réseau routier, on a un nouvel itinéraire; tous les ingrédients sont réunis pour une nouvelle aventure.

Le soleil se lève sur la Mer Rouge.
 Prochain épisode: sur la piste de Lawrence d'Arabie dans le désert du Wadi Rum.




Monday, February 27, 2012

L’hôtel qui n’existait pas. (sans photo)



Welcome to Jordan!

Une phrase qui reviendra comme un leitmotiv tout au long de notre bref séjour dans le Ashemite Kingdom of Jordan. Bien préparés, nous avons déjà des devises (le dollar jordanien, que la plupart des gens nomment familièrement Jay-Dee) pour payer nos visas d’entrée, deux fois vingt JD.
Après avoir ramassé nos deux grosses valises trop lourdes, on se dirige vers le comptoir Thrifty où une voiture nous attend. Après avoir réglé les détails - on loue un GPS, qui finalement ne fonctionnera jamais – on part à la découverte du système routier jordanien en faisant les 35 kilomètres qui nous séparent de la capitale. 

Un paysage plutôt plat, qui se transforme en collines aux abords de la ville. Le petit crachin de l’aéroport se transforme bientôt en déluge. Le soir tombe rapidement, et à travers les essuie-glace, les courbes, les nids-de-poules, les collines sinueuses et les rares panneaux bilingues arabe-anglais, on essaie sans succès de comprendre la minuscule carte d’Amman incluse notre guide touristique. On découvre trop tard que le GPS nous parle arabe, et on perd une demi-heure à essayer des menus incompréhensibles pour l’amener à nous parler une langue qu’on comprend (à la fin, on se serait contentés de n’importe quelle langue en alphabet latin). Impossible de trouver le centre-ville. Amman, c’est 20 collines tortueuses, des ronds-points, l’impossibilité de tourner à gauche à cause des terre-plein et des voitures qui s’inventent cinq voies quand il n’y en a que deux. On s’arrête souvent : pharmacie, cafés, dépanneurs, pour demander des indications. Les gens sont très, très gentils, et serviables. Presque tout le monde connait un peu d’anglais, mais pas assez pour nous expliquer simplement un itinéraire trop compliqué. Finalement, un sympathique pharmacien nous fait un dessin. Et ça marche! On arrive dans le cœur du vieux Amman, où se trouve l’amphithéâtre romain. 

Il fait noir, il fait froid, il pleut des cordes, on est épuisés. On trouve un stationnement entre les ruines et la mosquée et on s’arrête. Bref conciliabule. On laisse les bagages dans l’auto, on prend nos sacs à dos et on s’en va dans la direction générale de notre petit hôtel, le Riviera. Dans le guide, sur notre réservation, sur expedia.ca et partout ailleurs, seul le nom de l’hôtel et l’adresse : Riviera Hotel, King Hussein Street, Amman. On marche, on cherche, on est trempés. On pensait arriver au Moyen-Orient, on se croirait en Irlande sous la pluie glaciale. On a beau marcher de haut en bas, de gauche à droite, s’arrêter fréquemment pour demander des indications, rien n’y fait : personne ne connaît l’hôtel Riviera. Ni les chauffeurs de taxi, ni les commerçants, ni même ceux qui habitent sur la rue King Hussein! Nous sommes prisonniers d’un genre de huis clos où nous tournons en rond, dans l’incompréhension totale. Mais où donc se trouve l’hôtel Riviera? En temps normal, ça aurait été la crise, mais comme nous sommes trop fatigués, ce sont des éclats d’hilarité qui nous sauvent.

Malgré tout, désemparés, glacés, on se réfugie dans un coffee-house pour faire le point. Pour s’y rendre, on doit traverser des rues dont la moitié est inondée de près de 5 pouces d’eau qui déferle en cascades (les rues sont en pente). L’eau jaillit aussi des caniveaux comme des fontaines. Nos chaussures de marche sont à l’épreuve des déserts et des rues, mais pas de l’eau. Ça fait squish-squish à chacun de nos pas. Arrivés dans le coffee-house, les natifs nous regardent avec étonnement; nous sommes si trempés, pour des touristes…

Jamais thé et café n’ont été autant appréciés, et la bouffe aussi. On quitte l’endroit à regret pour une dernière tentative. 
Sans succès. 
Angoissés, mouillés jusqu’aux os, dans l’eau qui ne cesse de s’accumuler et même de refouler dans ces dédales en pente, on retourne à l’auto pour se réchauffer. Dans le guide, on trouve une façon assez simple de se rendre dans une zone de la ville ou les hôtels connus sont nombreux. Sur papier, en tout cas…

On est plutôt étonnés d’y arriver sans trop de difficultés. On s’arrête au premier hôtel qui nous semble facile d’accès. C’est le Grand Hyatt Amman. Le prix est relativement abordable (on était prêts à payer plus, étant donné notre état) et, après de surprenantes mesures de sécurité, semblables à celles des aéroports (bagages passés dans les détecteurs, fouille, etc..), on arrive à la réception, puis après à la chambre. Le luxe de longues, très longues douches chaudes et d’un lit confortable nous évitent d’attraper la pneumonie. Nous envoyons un courriel à l’hôtel Riviera, pour leur indiquer que puisqu’ils n’existent pas, nous n’iront probablement pas séjourner chez eux.

Ce n’est que plus tard, au hasard de notre lecture du guide touristique d’Amman, qu’on apprend qu’il y a eu une série d’attentats-suicides dans 3 hôtels d’Amman en décembre 2005, faisant 60 victimes : au Radisson, au Days Inn et au… Grand Hyatt.

Si vous connaissez l’hôtel Riviera de Amman et pouvez nous confirmer qu’il existe, faites-nous signe.

Entre le purgatoire et l'enfer


Nous avons réussi à quitter le Maroc sans nous abimer dans l'indignation, mais tout juste. Nous avons attendu les 7 heures dans le purgatoire des mal-aimés du transport aérien; nous des bons, des blancs des occidentaux de bonne famille, mais bon. Nous avons ravalé, accepté, fait notre croix dessus comme on dit puis pris l'avion de la compagnie Etihad que notre copain Junaid nous avait fortement recommandée.

Puis nous sommes embarqués dans ce vol qui menait- départ 20h et arrivée 7h30, heures locales - à Abu Dhabi: 6h30 de vol, 4 heures de décalage horaire + délai de décollage.

Puis là, c'est le bonheur. Configuration de cabine comme les L-1011 de l'époque, deux sièges à nous et un service impeccable. Comme durant les belles années d'Air Canada il y a 30 ans. Petit kit avec des bouchons pour les oreilles, des chaussettes, un machin pour les yeux pour bloquer la lumière et une brosse à dent. De grands écrans pour regarder des films, un MENU pour choisir ses plats, avec vin (ou autre) gratuit, de l'espace, un oreiller, une belle couverture...

Tout le confort d'une première classe en classe économique.
Ça sent le neuf!


Etihad est une nouvelle ligne aérienne stylée et confortable, lancée en 2003 et basée a Abu Dhabi. Depuis 3 ans la compagnie décroche la palme d'or des "olympiques" du transport aérien. Parce qu'il faut le dire, Abu Dhabi (aux Émirats Arabes Unis) est une ville riche; en fait, selon les revues Forbes et Fortune, c'est la ville la plus riche au monde. Et ça paraît.

Pas seulement pendant ce vol luxueux - qui nous rappelait et même surpassait certaines classes affaires que nous avons pu voir ailleurs - mais aussi, et surtout, à l'arrivée à l'aéroport.

L'aéroport d'Abu Dhabi est comme une grande plaza opulente, où tout le monde circule sur un nuage de luxe. Tout est propre, propre, propre. Il nous semblait qu'il y avait plus de monde en train de faire le ménage, constamment, cycliquement, que de voyageurs. La salle de bain était équipée d'une salle des prières, d'une zone pour enfant, d'une salle pour bébé, de toilettes (avec chaque cubicule muni de l'équivalent d'un bidet "à main", c'est à dire un genre de boyau d'arrosage avec pommeau de douche pour une hygiène personnelle intime nec plus ultra, et très répandue dans le monde arabe comme nous avons pu le constater par la suite) et en train d'être nettoyée en permanence par de jeunes asiatiques...


L'aéroport d'Abu Dahbi, comme dirait Beaudelaire: Calme, Luxe et Volupté.


D'ailleurs, c'est là une des particularités d'Abu Dhabi, mise en évidence par le profil des travailleurs de l'aéroport: c'est une ville - capitale d'un des 7 émirats (le plus gros) - où la population locale ne travaille pas. Pourquoi? Parce qu'elle est riche. Toute la main-d'oeuvre (à 99% -  oui, oui, c'est un chiffre réel, pas une exagération) du pays est étrangère. Les "locaux" ne travaillent pas. Ils sont issus des tribus du pays qui contrôlent la richesse et le gouvernement. La totalité des services à la population est assurée par des étrangers.

Et ils n'auront jamais droit à la citoyenneté.

Monde à l'envers.

Et très à l'envers, car ce qu'on constate aussi, c'est l'allure des femmes. Ces femmes voilées (comme le chantait quelqu'une) sont riches et ont l'arrogance des riches. Elles ont le regard hautain (ce qu'on en voit) le pas assuré, les amples robes noires de tissus fins et soyeux, les sacs d'achats nombreux aux bras dont les mains sont élégamment bijoutées. Mais par dessus tout, c'est cette assurance qui est déconcertante. Pas la petite mine de femme soumise à laquelle on s'attend - en bons occidentaux - pas de regard furtif ou d'yeux baissés. Non. Ces femmes-là sont sûres d'elles-mêmes et possèdent leur monde. Et cela se voit; malgré le fait qu'on voit si peu de leur physionomie, ça se sent. Comme quoi il y a des choses universelles en ce qui concerne le pouvoir de l'argent. On peut se demander: sont-elles en fait libres ou prisonnières? La question se pose, et le fait même qu'elle se pose nous désarçonne.

Dans cet aéroport 5 étoiles, on se repose en toute sécurité au creux de chaises longues aménagées pour le sommeil des voyageurs en transit, comme nous, sous le regard bienveillant des philippino-aisiatiquo-africano-indiens qui font sans relâche le ménage pour nous.

Boutiques chic au sous-sol.
C'est François, à gauche, qui roupille.

Après un roupillon réparateur on embarque dans le dernier avion de notre transit vers Amman, en Jordanie. Nous sommes calmes, réconciliés avec bien des choses, inconscients encore du fait que la journée qui s'était amorcée à 5h du matin la veille se terminera tard dans la nuit de ce qu'on pourrait appeler l'épisode infernal de notre voyage jusqu'ici.

Saturday, February 25, 2012

Prisonniers de la section Transit



L’aube teinte à peine le ciel du côté des montagnes quand nous partons en taxi de Taghazout. Pas un chat – ou une chèvre – sur la route à cette heure. Le chauffeur, pensant nous plaire, a syntonisé une station française de dance-music. I’ve gotta feeling that tonight’s gonna be a good night… Les Blackeyed Peas sont de drôles de compagnons de départ.

À l’aéroport d’Agadir, la préposé nous donne notre première carte d’embarquement, jusqu’à Casablanca. Elle nous informe qu’on devra se présenter au comptoir d’Etihad pour nos autres cartes, Casablanca-Abu Dhabi et Abu Dahbi-Amman. À l’immigration, on nous dit qu’avec 12 heures d’escales, on voudra quitter l’aéroport, donc on nous propose de retourner au comptoir de Royal Air Maroc, de retirer nos bagages, etc… un peu découragés de devoir trainer nos deux grosses valises alors qu’elles sont déjà étiquetés all-the-way-to-Amman, on décide que rester dans l’aéroport, écrire et faire le point serait une bonne idée plutôt que de sauter dans un taxi, faire les 35 km jusqu’en ville, courir pendant 5 heures, etc.. Les douaniers nous donnent un drôle de regard mais nous étampent quand même le tampon de sortie du pays dans nos passeports. 
Mauvaise idée.

À Casablanca, à 10h, on nous signale que puisque nous n’avons pas de cartes d’embarquement pour nos deux prochains vols, on ne peut pas entrer dans l’aéroport – il faut attendre l’arrivée du personnel d’Etihad dans cette section transit, purgatoire entre le tarmac et l’immigration. Quand arrivent-ils? 16 heures. Six heures à passer dans un couloir avec quelques chaises. Pas d’eau. Pas de nourriture. On s’insurge, on passe d’agent en commissaire de la douane : rien à faire, ce n’est pas leur problème. C’est celui d’Etihad. On nous refoule dans le couloir. 
L'entre-deux-mondes: salle de transit, aéroport de Casblanca.

Un copain d’infortune, Junaid, est arrivé à 8h de Guinée-Bissau. Indien dans la jeune trentaine, originaire de la région de Bombay (ou Mumbaï, si vous préférez) il possède sa compagnie de fabrication de cuves géantes pour fondre le métal ‘scrap’, basée à Dubaï. Le recyclage des déchets de plomb de l’Occident se fait beaucoup dans les pays africains pauvres et sans règlementation environnementale. Junaid vient de passer 2 mois et demi à installer de l’équipement en Guinée. Quand il est parti de chez lui, son fils avait 15 jours. Il s’ennuie, n’a pas dormi depuis 24 heures, veut revoir sa famille, veut surtout dormir. Trois autres hommes, des Guinéens, composent le reste de notre petite troupe d’irréguliers. Ils sont partis de Lyon pour retourner en Guinée. Ils ont des problèmes de visa. Sans argent, sans visas, ils sont à la dérive dans l’entre-deux monde du Transit. Ils ne savent pas s’ils partiront demain, ou après-demain, ou plus tard encore. Heureusement, une dame de l’aéroport leur apporte des sandwiches et des sodas. Ils ne mourront pas de faim aujourd’hui. On entr’aperçoit les problèmes que des milliers d’immigrants vivent quand ils ne connaissent pas les systèmes avec lesquels ils ont à composer. 
Comme on dit chez nous, quand on se compare, on se console.

Junaid, prisonnier lui aussi du transit. Au moment de la photo, il y avait 30 heures qu'il n'avait pas dormi.

C’est finalement à 17h45 qu’arrive LA représentante d’Etihad. Après 20 minutes de paperasse administrative hallucinante (elle a besoin de notre numéro de billet d’avion Amman-Istanbul, un vol qu’on ne prendra pas avant 10 jours!!!) elle nous imprime finalement nos cartes d’embarquement. L’avion décollera à 20 heures. On a le temps de manger un morceau. 

On vient de vivre notre première chicane d’amoureux avec le Maroc, au moment du départ, sans savoir si la vie nous donnera un jour l’occasion de se revoir. 

Wednesday, February 15, 2012

Adieu à Taghazout


C'est la St-Valentin, c'est donc une histoire d'amour, mais pas entre un homme et une femme (quoi qu'il y a de ça aussi) mais plutôt d'un couple pour leur studio à Taghazout. Dans 2 jours, nous quitterons à regret le studio qui a été notre pied-à-terre depuis un mois. À très grand regret.


 

Il y a de ces endroits qui viennent nous chercher, comme par magie, qui nous marquent et qu'on sait qu'on n'oubliera jamais; qui nous habiteront mieux encore qu'on ne les a habités et qu'on sait déjà que l'on voudra un jour retrouver. Notre studio à Taghazout, une vingtaine de km au nord d’Agadir, est un de ces endroits, pour une variété de raisons, la première étant évidemment la beauté du paysage qui s'offre à nos yeux par les grandes fenêtres.

Le studio est construit tout d'une pièce; c'est-à-dire que les comptoirs. les étagères, les bases du fauteuil et du lit, les partitions entre les pièces sont toutes d'une venue en plâtre. À part 2 tabourets, une petite commode et une table basse de bois, rien ne bouge. Et rien, je soupçonne, ne se rénove. Et à part le fait qu'il y a peu de rangement, c'est très bien comme ça. Les couleurs sont pastels et le divan qui fait le coin est très, très long, à la marocaine, sans dossier mais avec une multitude de coussins. La cuisine comprend une plaque chauffante avec 2 ronds, un frigo et un évier. La salle de bain: une toilette, un évier et une grande douche. C'est juste parfait.

Nous sommes au 4ième étage, le dernier pour les studios. 45 marches. Il n'y a que la terrasse commune sur le toit au-dessus de nous. Les fenêtres donnent sur la plage. Oh, oui, il y a bien quelques maisons entre nous et l'eau, mais ce qu'on voit surtout c'est la plage où les mouettes se prélassent, les dromadaires se promènent en quête de touristes à porter et les pêcheurs qui enlignent leur chaloupes bleu ciel, bleu mer. Ah oui, il y a aussi les garçons et les jeunes hommes qui se dessinent des terrain de foot dans le sable et y jouent tous les jours, jusqu'à ce que la mer vienne effacer leurs hors jeu. Il y a aussi quelques touristes, surtout avec des enfants, mais pas beaucoup car la grande plage publique n'est pas loin et c'est là où se retrouvent surfers et touristes. Celle-ci, la nôtre, c'est celle du village où les pêcheurs ont le comptoir de poisson qu'on achète dès qu'il quitte le bateau et qui le préparent selon le besoin.

De nos grandes fenêtre on voit la plage, la mer, et la côte au loin vers le nord. Nous faisons face à l'ouest et le soleil nous donne le spectacle chaque jour renouvelé de se coucher dans la mer, parfois dans de légers bancs de nuages, toujours en éclairant l'horizon d'une lumière orangée qui me hantera longtemps. 18h15, fidèle, jour après jour. 




Mais c'est le son surtout qui meuble notre studio, nos lectures, nos repas, nos rêves, notre vie qui nous manquera. En fait, une multiplicité de sons: les vagues, fortes, insistantes, qui nous offrent leur symphonie de crescendos fracassants, avec des mouvements plus doux et berçants. Les vagues qui nous offrent même des grandes finales où on se surprend à pense: "Ah? c'est fini" puis, après une pause dramatique, reprennent de plus belle.

Et en contraste absolu au bruit des vagues, il y a le son des moteurs des chaloupes que les pêcheurs font cracher à fond pour les tester avant de prendre le large. Ces moteurs qu'on a surnommés nos tondeuses de mer, et qui s'activent juste avant l'aube; oui, même elles me manqueront.



Et la petite fille qui habite dans la ruelle en bas de chez nous qui a une si belle voix, forte, impétueuse, qui crie à tue-tête sa joie et sa contrariété, qui lance des "falla!" mille fois répétés (aucune idée de ce que ça veut dire). Elle aussi me manquera.

Et les cris des mouettes, les appels à la prière, le sermon du vendredi qui nous permet de garder le fil des jours. Sans oublier le petit chien gueulard ou, aujourd’hui, la petite chèvre qui bêle dans la ruelle.

Oui, du fond de mon grand lit confortable d'où je peux voir la mer, ou encore dans la cuisine, en train de couper des légumes pour le souper, aveuglée par le soleil,  mon coeur se pince à l'idée de partir. Mais nous pouvons dire "mission accomplie"; on voulait décrocher, on l'a fait.
Merci Taghazout.



Saturday, February 11, 2012

Le désert: deux versions


ELLE :
Donc le désert... une expérience caractérisée par le peu de mots qui se sont formulés durant notre séjour là, et depuis pour en discuter. "Hein, le désert..." nous sommes-nous dit, à maintes reprises, le regard brillant, l'âme pleine et le coeur pincé d'une nostalgie passagère. Oui, le désert...

LUI :
C'est le silence qui se remarque avant tout. On s'éloigne de l'auberge, des voitures, de la civilisation. Au creux du silence, le bruissement des pattes de dromadaires dans le sable. Le frôlement de nos vêtements, les grognements occasionnels des animaux.
C'est la couleur, aussi. Les dunes roses dans le soleil couchant, un rose tellement chaud qu'on a peine à croire qu'il n'a pas été peint par un artiste fiévreux.

Départ de la caravane.


ELLE :
On y a été précipités, propulsés à dos de dromadaire, la tête enturbannée et les yeux écarquillés. Nous avons doucement apprivoisé le rythme balançant de la bête sous nos fesses, réglant notre corps à son tanguage, son langage, puis nous avons regardé l'ombre que nous projetions s'étirer sous le soleil couchant. Les derniers bruits de la civilisation se sont éteints et c'est dans un silence à peine  interrompu pas quelques phrases, prononcées tout bas comme dans une église, que nous avons, à la queue leu leu, une heure et demie durant, été bercés par la marche des dromadaires et les vastes étendues de dunes rosées-rousses qui se dévoilaient devant nous.

LUI :
C’est le silence à l’intérieur aussi. Regarder le soleil qui descend vers les dunes, voir leur couleur changer de seconde en seconde, voir la lune se lever, sa lumière prendre doucement la place du soleil après un fulgurant coucher qui allonge les ombres: expérience mystique. Le temps s'arrête, il n'y a plus que ce sable qui tangue, les étoiles qui s'allument lentement, et le coeur qui bat. On a l'impression d'être en chemin depuis 4 heures, mais seulement 90 minutes se sont écoulées. On aperçoit le campement, au loin, dans le creux d'une immense dune de plus de 100 mètres de haut.

ELLE :
Les dunes; si féminines de leurs formes généreuses, de leurs courbes sensuelles, de leur imposante présence qui nous rappelle les dangers et les trésors qu'elles recèlent. Ces dunes, issues de la nuit des temps de mon imaginaire; ce désert qui appelle depuis toujours mes pieds pour qu'ils y laissent leur trace éphémère.

La nuit vient de tomber et "les étoiles dans le ciel, brillent brillent qu'elles sont belles. Une à une elles s'allument, pour bien éclairer la lune..." Une comptine qui resurgit en trame sonore d'un rêve d'enfance réalisé. La lune n'est pas pleine, mais le sera dans quelques jours. Elle jette une lumière comme je n'en ai jamais vue.

LUI :
La lune guide nos pas vers l'entrée d'un enclos. Le chef de la caravane aboie des ordres et les dromadaires, à contre-coeur, se couchent pour nous laisser descendre. Les pattes d'en avant d'abord, on s'agrippe au pommeau de la selle pour ne pas tomber. Ensuite les pattes arrières. On nous amène dans une tente ou des dizaines de coussins entourent trois tables basses. On s'asseoit, et ils nous apportent l'éternel thé à la menthe, qui serait exquis s'il n'était pas toujours si terriblement sucré. Mais on finit par s'habituer, et celui-là était particulièrement bon. On nous indique ensuite notre tente, et on y laisse nos petits sacs, avant de retourner dans la tente-salle-à-manger. Tagine exquise, qu'on mange plus avec des bouts de pain que des ustensiles. On y rencontre Tomako, jeune japonaise de 36 ans qui voyage seule, qui sourit toujours et qui est super attachante. Elle travaille dans un bureau près de Kobe; elle a pris la résolution de visiter un pays de chaque continent. Pour le continent africain, elle a choisi le Maroc. 

ELLE :
Après notre souper (tajine! ... comme je t'aime!) nous sortons explorer ce ciel infini. Derrière notre campement nous croyons discerner dans le ciel... quoi... la voie lactée? …  une aurore boréale? Non….

LUI :
Après le souper, on sort dehors, autour du feu, pour le café. Il fait complètement nuit, la lune est au zénith, les étoiles sont si brillantes qu'on aperçoit sans difficulté la voie lactée. Et devant nous, la grande dune. Je vous jure que la crête scintille, phosphorescente, comme une lumière magique. Pour moi, ce sera l'image la plus fabuleuse de ce voyage dans le désert. Nos hôtes, trois jeunes berbères, apportent des tambours et des cymbales-à-main et nous interprètent quelques pièces traditionnelles. C’est chaleureux.

ELLE :
La poésie du moment nous subjugue encore et encore; autour du feu où des représentants du monde (Japon, Allemagne, Canada, Maroc, Belgique) discutent avec un bonheur évident, mais discret, du désert et de ses charmes, alors que la joyeuse bande de Berbères fait chauffer ses percussions puis crée une nouvelle trame sonore pour un rêve devenu adulte. Tout est intense, magique et, oui, mystique.

Chacun, à un moment donné, s'isole. Le Sahara nous appelle, individuellement, pour une communion naturelle. Les Berbères continuent leur musique et sourient; il savent, ils connaissent, ils comprennent. Les émotions de la journée nous rattrapent; c'est le temps de nous coucher car le lever du soleil sur les dunes est à ne pas manquer et un de nos accompagnateurs - le chanteur du groupe - nous réveillera en tapant des mains, à 6h30. Comme un magicien qui nous sortira d'une transe.

LUI :
Nous nous retirons. Dans notre tente, un matelas recouvert d’une couverture de laine, deux draps par-dessus, trois autres couvertures d’une laine dense et chaude. On se couche, le corps est rapidement au chaud, mais le visage congèle. J’ai l’impression d’être de retour à Edmonton et de coucher dehors en plein hiver par moins quinze. J’ai rarement eu aussi froid au visage. Heureusement, on porte encore nos keffiés, et on se recouvre tout le visage pour finalement s’endormir.

ELLE :
Il fait froid la nuit dans le désert. Dac. On le sait. On l'a tous lu ou entendu quelque part. Intellectuellement on se dit, "Ouais, c'est à cause de l'écart entre les températures de jour et de nuit..."
Mais croyez-moi: il fait FROID la nuit dans le désert... surtout en janvier! Couvertures par-dessus couvertures, 2 corps, tout habillés, se blotissent et doivent quand même se couvrir le visage de leur foulard du désert pour ne pas geler. Plus tôt, on voyait distinctement notre haleine accompagner nos émerveillements. Dormirons-nous? En fait, oui. Étonnamment. De façon un peu décousue et surréelle, mais oui. Et bien, en fait.
Avant même que notre ami berbère ne vienne applaudir notre réveil; nous sommes debout, aux premiers balbutiements de l'aube qui dessine les dunes. Nous explorons.

LUI :
Debout à 6 heures, avant les autres, c’est encore nuit noire. La lune est couchée, et les étoiles en profitent pour redoubler de scintillement.  On sait que le soleil se lève vers 7h, et on cherche le meilleur endroit pour le spectacle. Ambitieux, on décide de grimper la grande dune par la crête. Plus facile à dire qu’à faire. À chaque deux pas on recule d’un. Et ça grimpe! Je ne peux pas faire plus de 30 pas à la fois, souffler un peu, et reprendre l’ascension. Mohammed arrive derrière nous, nous dépasse et va s’installer au sommet. Un jeune couple d’Européens fait pareil. À plus des trois quarts, on se rend compte qu’on ne se rendra pas avant le lever du soleil.

ELLE :
Nous délimitons notre propre bout de dune d'où nous verrons le soleil, dans toute sa splendeur, nous illuminer de ses rayons chauds, là où il sait briller avec la plus grande majesté. Car c'est là, dans le désert, où le soleil prend tout son sens, imbu de lui-même et des grâces qu'il épand sur les dunes qui l'absorbent, le reflètent et l'aiment d'un amour fou, comme il se doit. C'est ça le désert. Une communion ciel terre.

LUI :
On s’installe les fesses confortablement, on prépare les appareils photos et on se recueille. Le spectacle est hallucinant. Les dunes prennent une teinte orange-feu, le paysage s’allume, c’est la première aurore du monde. .
Le mariage du ciel et de la terre.

Baigner dans la première lumière du monde.

Sans commentaire.

ELLE :
Moment de grâce. Puis, l'applaudisseur en chef, chanteur, percussionniste et sympathique cuisinier nous appelle pour le déjeuner. Dévaler une haute dune, à toute allure et dans la joie, juste après le lever du soleil est une expérience indescriptible.

LUI :
Peu de temps après, c’est le déjeuner, puis la longue randonnée de retour vers la fin du désert. Une soirée, une nuit et un matin, mais une éternité gravée au fond du cœur.

ELLE :
Les ombres rétrécissent, au lieu de s'allonger alors que nous effectuons le retour à la civilisation avec les dromadaires que nous considérons maintenant comme NOS dromadaires, nos amis intime à qui nous chuchotons des mots doux, ces mots si difficile à trouver à ce moment-là, et depuis.

Retour pour le petit déjeuner.
Elle danse dans le sable.
Un rêve réalisé.
Dernier regard sur notre bivouac.