Friday, March 23, 2012

Retour en arrière: Al Karak et la Mer Morte en Jordanie


Quand on vit le tourbillon du voyage, les dates s'entre-mêlent et on inverse les choses...voici notre visite de Kérak, ou Al Karak, en Jordanie, la forteresse des croisées, construite par Renaud de Chatillon (le méchant du film Kingdom of Heaven).

Vue du haut de Karak.  On comprend sa valeur géostratégique...


Après Petra nous avons mis le cap sur Karak pour y visiter le château fortifié. Je ne sais pas si enfant, vous avez eu cette image mythique de fortifications anciennes où on pouvait imaginer des dédales de donjons, de passages souterrains s'étalant en méandres sombres et mystérieux où de multiples aventures, tractations, pactes secrets se déroulaient sous le couvert de couloirs cachés? Les châteaux que l'on visite de nos jours nous montrent de vastes salles somptueusement reconstituées et décorées, des tourelles nous offrant de magnifiques vues des environs, des parapets où on peut déambuler sous le même soleil qui brillait sur les aventures d'autrefois. Mais dessous, qu'y avait-il? Comment y vivait - et mourrait - on?

C'est un voyage dans cet imaginaire sous-terrain que nous offre Karak, une forteresse construite par les croisées au 12e siècle sur les ruines de plus anciennes structures, et reprise par le général du grand conquérant Salâh ad-Dîn, mieux connu en Occident sous le nom de Saladin.

Oui, il y a bien toutes les fortifications en hauteur d’où on voit approcher l'ennemi. Oui, c'est un lieu d'où on peut apprécier l'importance stratégique et historique de son érection. Mais on peut également descendre et s'engouffrer dans les couloirs en labyrinthe qui sillonnent, sur plusieurs étages, les entrailles du château.

C'est avec un plaisir enfantin que nous nous sommes un peu perdus dans ces dédales. Les filles ont premièrement perdu François, et se sont elles-mêmes enfoncées dans les pièces s'ouvant sur d'autres pièces, ces couloirs presqu'étouffants qui remontent ponctuellement à la surface, comme pour y reprendre leur souffle. À droite ou à gauche? On est déjà passé par ici, non? Regarde, il y a un autre étage plus bas! François a fait la même découverte et erre lui aussi, heureux de ces labyrinthes.

Une partie des cuisines, qui devaient, littéralement, nourrir une armée.

Le plaisir de se perdre dans le dédales de couloirs souterrains d'Al Karak.

Une meurtrière, au détour d'un couloir étroit, dans un mur caché...


Au bout d'un moment, un guide en vêtements traditionnels bédouins, fin cinquantaine, s'approche des filles et les invite à entrer dans une salle sombre qu'il éclaire de sa lampe de poche en expliquant qu'il s'agissait d'une chambre à coucher. Il prend plaisir à utiliser le peu de français qu'il possède. Puis il les entraîne de pièce en pièce, de bon pas, en énumérant et détaillant ce qu'il dévoile au regard grâce à sa lampe: salle des cuisine, chambre à deux étages au bout d'un escalier noir comme l'encre, prisons... François les retrouve et se joint à eux: d'autres cuisines qui servaient à nourrir 10 000 personnes, les prisons où les prisonniers ont marqué le passage des années par des inscriptions gravées dans la pierre, les écuries sur deux étages, les lieux de culte, les presses de vin, les explications se multiplient. Il s'appelle Adel, et il est taquin, il aime jouer des tours. Il se dissimule dans des alcôves - et cache les filles avec lui - pour surprendre François. Il nous aide à grimper où on ne devrait pas, nous tient la main pour qu'on s'approche du bord d'ouvertures sur le vide, pose en photo avec nous avec bonheur. Avec les filles, surtout. Il nous explique qu'il a 10 enfants avec une seule femme. Il en est fier. Après tout, comme il nous le rappelle, il pourrait avoir quatre femmes...  Il semble TRÈS heureux de mettre son bras autour de la taille de filles pour les photos. Rien de déplacé, simplement étonnant en Jordanie. Il aura été un guide impeccable.

Adel, toujours prêt à prendre Ève Marie dans ses bras...

Le trio rigolo.

Dans la catégorie 'on se moque de François': couché pour prendre une photo rase-motte de l'escalier de pierre.

Alors que l'immensité du château l'entoure, François s'attarde sur la photo d'une pierre. Quand on regarde les arbres de trop près, on ne voit plus la forêt???

Eve Marie s'est débarrassé de François en le jetant aux oubliettes.


Puis, après un lunch rapide, on prend la route vers la mer Morte et ses grèves de sel. Objectif: se mettre les pieds dedans.

La route est belle et ensoleillée. On s’arrête sur le bord de la route, en haut d’une falaise surplombant la Mer Morte, pour voir une formation rocheuse qui serait, selon la légende, la femme de Lot, neveu d’Abraham. Cette dernière a été changée en pierre lorsqu’elle s’est retournée au moment de la destruction de Sodome et Gomorrhe. 
Statut de la femme de Lot, changée en pierre pour s'être retournée à la destruction de Sodome.

De notre promontoire, on observe ce ce corps d'eau ultra-salin, le point terrestre le plus bas au monde à 400 mètres sous le niveau de la mer. On ne l'appelle pas Mer Morte pour rien; rien ne peut vivre dans cette eau pourtant claire, qui devient trouble d'ondes salines dès qu'on la remue. 

Preuve qu'Ève Marie a bien été au bord de la Mer Morte...

...tout comme Florence...

...et François.

Formations salines au bord de la Mer Morte.
Un peu plus loin, alors que se prépare un majestueux coucher de soleil, on trouve un endroit pour y tremper les pieds. On y goûte, juste pour voir... Ouache: plus salé que ça, tu meurs. La plage de pierre est presque vide, si ce n’est la présence de deux jeunes hommes Jordaniens, très BCBG. Le plus petit s’appelle Ibrahim, le très grand Raffi. On se lance avec eux dans un concours de ricochet de pierre. Et dans l’eau de la Mer Morte, on compte parfois jusqu’à 15 ricochets!!! Après le coucher de soleil, ils nous invitent à prendre le café à côté du stationnement. On ne parle pas arabe, ils ne parlent pas anglais, sinon quelques mots. On gesticule, on mime, on a du plaisir. La nuit tombée, on se salue et on part chacun de notre côté, heureux d’un moment de communication amicale alors que le soleil se couchait sur Israël, à quelques kilomètres de l’autre côté de la mer, mais à des millions de milles de la réalité de nos copains Jordaniens. 

Caillou attrapé en vol lors de notre joute de ricochet.

Flo commence par se mettre le doigt dans la Mer Morte.

Notre nouveau copain Ibrahim.

Couché de soleil émouvant. Au loin, Israël, que nous n'aurons pas l'occasion de visiter.

Le lendemain, après avoir à nouveau bravé le dédale des rues d'Amman, on se lance à la conquête de Jérash, une des villes romaines les mieux préservées du Moyen-Orient.

Jordanie suite et fin: Jerash et Madaba

Les escaliers qui mènent au temple d'Artémis, à Jérash, en Jordanie, et à quelques dizaines de kilomètres au sud de la Syrie..

Bien installés dans un charmant petit hôtel de Prague, on essaie de se rattraper dans le récit de nos aventures jordaniennes…


Après Petra, Jerash, au nord-est d’Amman. On dort sur les rives de la Mer morte, parce c’est vraiment plus facile d'accès que les dédales d'Amman. Par ailleurs, il y fait toujours 10 degrés de plus qu'à la pluvieuse Amman, ce qui a tôt fait d’emporter l’adhésion du groupe. C'est également la dernière journée de notre trio d'enfer : Florence nous quitte tard ce soir-là pour rentrer au Canada.

Jerash faisait partie d’un vaste réseau de villes romaines et grecques saupoudrées tout autour du bassin méditéranéen. Amman, par exemple, est l’ancienne Philadelphie, une des villes de ce réseau. Maintenant une petite ville moderne, Jerash dévoile ses charmes antiques grâce à d'impressionnants travaux d'excavation. Sur plus d’un kilomètre, on découvre la ville ancienne, avec ses grandes allées de dalles où l'on entend l’écho du galop des chevaux et le cliquetis des chariots. Des arches immenses, sous lesquels on imagine le passage des processions romaines, mènent vers des temples érigés pour Artémis (Diane) et Zeus, dont les vestiges sont si hauts et massifs qu’on pressent facilement leur somptuosité d’origine. 

Les colonnes démesurées du temple d'Artémis.


Colonnade semi-circulaire de la grande place de Jérash.

Florence devant la scène de l'amphithéâtre.

Rue secondaire, Jérash.

Le splendide amphithéâtre, lui,  nous offre son acoustique parfaite quand un touriste américain (ils sont rares) entonne une chanson humoristique. Sa voix de stentor s’élève facilement vers les plus hauts gradins, où François est grimpé pour une photo d’ensemble. C’est à ce moment qu’on vit un moment d’intense désarroi culturel. En effet, on est accueilli soudainement par le son d’une... cornemuse??.. qui joue... un air des Beatles? puis God save the King…interprétés par des... Jordaniens en costume…traditionnel bédouin. Bon. C'est réconfortant de savoir qu'on n'a pas le monopole du quétaine. 

L'amphithéâtre, vu du dernier gradin.

Amphithéâtre. On voit le chanteur américain à gauche (celui qui bedonne) et, au centre, le groupe bédouino-écossais.

À Jerash, les places publiques sont vastes et généreuses. Les allées, bordées des comptoirs commerçants, sont des témoins de la vie de tous les jours; plusieurs colonnes conservent le vestige de leurs couleurs premières, signes d'une vie colorée et chaleureuse que les habituelles ruines monochromes rendent souvent mal. Ici, l’histoire est branchées sur le 220. Bonus: à la sortie, on décide de manger au resto du site. C’est le meilleur repas de notre séjour jordanien : brochettes succulentes et tendres, un baba ghanouj pas passé au blender,  un assortiment de salades rivalisant de fraicheur... miam!

Ève Marie et le théâtre: un moment de bonheur.

Une fontaine, un temple ou une bibliothèque...on oublie.

Pour terminer la journée, cap sur Madaba, célèbre pour ses mosaïques byzantines et pour sa communauté chrétienne, la plus importante de Jordanie. La mosaïque la plus célèbre est dans l'église de St-Georges. Elle a été découverte  au 19e siècle et a créé tout un émoi lorsqu'on a constaté que l'oeuvre représentait une carte du pourtour méditéranéen - avec au centre Jérusalem - datant du 6e siècle. Les experts ont confirmé que, pour des gens qui n'avaient pas la notion moderne des échelles et et de la cartographie,  la carte représentée en mosaïques est remarquablement précise. L’œuvre, qui se trouvait sous le revêtement du plancher de l’église, est très fragmentaire, difficile à voir. C’est un cas – on en fait l’expérience à plus d’une reprise – où les reproductions sont plus intéressantes que les originaux.
Mosaïque de l'Arbre de vie, la deuxième plus célèbre de Madaba.

Les plus belle mosaîques colorées se trouvent dans un petit musée aménagé dans les vestiges de l'église de la Vierge. On nous explique que lorsque les chrétiens ont été chassés de Karak, ils ont décidé de s'installer à Madaba. En creusant pour se construire des habitations les nouveaux arrivants ont trouvé de magnifiques mosaïques qui représentent la vie quotidienne, des scènes mythologiques, des natures mortes, des portraits de famille, des animaux... Magnifique voyage dans le temps qui nous permet de finir en beauté notre aventure avec Florence, et trouver un petit lien avec le Canada. Eh oui, le guide du dernier musée de mosaïques – un autre Adel – quand il apprend que nous sommes canadiens, s'empresse de nous dire que son frère habite…Edmonton. Le monde est petit, et à l’aéroport, on fait la bise à Florence, reconnaissants d'avoir pu avec elle le rétrécir et le resserrer encore un peu. Merci Florence!


Détail de la mosaïque domestique.
Autre détail, où on présume que les visages sont ceux des proprios de la maison.
Les copines en pleine méditation photographique, les deux pieds dans la Mer Morte.
Au revoir Florence....Merci!

Wednesday, March 7, 2012

Le jardin de pierre


Petra.
Du grec ancien, qui signifie pierre.
En langue sémite Raqmu, la bariolée.
Cette ville, fondée il y a 2800 ans, est logée dans une immense vallée qui agit comme une cuvette naturelle, permettant d’accumuler l’eau de pluie, essentielle dans cette région désertique. L’eau, source de la richesse de Petra, qui était située sur la route des caravanes où transitaient l’encens, les épices et les produits de luxe vers l’Égypte, la Syrie, la Méditérannée.
Petra la rose, avec ses palais grandioses taillés directement dans les parois de grès aux couleurs chaudes, a connu son apogée quelques siècles avant et après Jésus-Christ. La ville des Édomites, puis des Nabatéens, des peuples dont les noms résonnent encore dans l’Ancien Testament. Il est difficile de croire qu'à l'époque c'était une mégapole de 230 000 habitants, qui vivaient nichés dans la roc, ou dans des maisons de pierre dans la vallée, et les plus riches dans des palais. Le chatoiement des couleurs nous laisse pantois. Comme le décrit un poète anglais du 19e siècle, Petra, a rose-red city half as old as time. Petra maintenant morte, victime de plusieurs tremblements de terre et de la création de nouvelles routes commerciales. Mais du haut d’un temple dédié à une déesse maintenant oubliée, au coucher du soleil, quand la lumière chaude caresse la pierre ocre, on entend presque le brouhaha de la cité grouillante de vie, les cheptels de chameaux qu’on charge de marchandise pour de longs voyages, le ruissellement de l’eau qui coule dans les artères de la ville.

Premier contact avec Petra. Place commerciale, fin de journée.
le Siq, canyon d'entrée de la Petra,



Une maison typique, creusée dans une pierre aux couleurs psychédéliques.

Petra, ce sont aussi des milliers de marches pour atteindre des sommets de plusieurs centaines de mètres, entourant la vallée que nous gravissons, essoufflés mais émerveillés de découvrir dans les hauteurs des paysages d'un autre âge. On se fait des cuisses et des mollets. Florence, forte de sa compétition de 60 km de ski de fond, mène le bal. Elle a la patience de nous attendre lorsque nécessaire, s'amourachant, chemin faisant, de tous les minous qui peuplent les ruines.

Florence au sommet du Sacrifice (1100 marches...)

Les vrais maîtres de Petra,

Au début de l'ascension des 800 marches vers le monastère, Florence et Ève Marie captent une conversation entre 2 touristes français:

-- C'est parce que tu sais, dans l'ancien testament, Dieu il était pas cool...
-- Comment ça pas cool?
-- Ben il faisait des trucs pas cool comme à Babel quoi...
-- Ah c'est quoi Babel?
-- Ben c'était une tour que les hommes ont construit pour s'approcher de Dieu...
-- Ils ont construit une tour? C'est ce qu'on va voir maintenant?
-- Non non, parce que Dieu, il l'a défaite, la tour.
-- Ah bon, et pourquoi?
-- Parce que les hommes voulaient s'approcher de Dieu, et lui, il voulait pas.
-- Ben pourquoi il voulait pas?
-- Parce que s'ils s'approchaient de lui, ben du coup ils se prendraient pour Dieu.
-- Alors qu'est-ce qu'il a fait?
-- Ben c'est là qu'il a créé toutes les langues pour que les hommes se comprennent plus et puissent plus travailler ensemble.
-- Et la tour elle, on peut la voir, elle est ici?
-- Ben non, je te dis: Dieu l'a détruite.
-- Ah, bon et comment il a fait?
-- Ben du coup il l'a pétée.
-- Ah bon. Mais dis donc, Babel, c'est pas une des 7 merveilles du monde ça?

Notre ami Lippy, qui a entendu la conversation des touristes Français et qui n'en revient pas...

Nous croisons des "chauffeurs" de mules, de dromadaires, d'ânes et de chevaux sympathiques (les chauffeurs, comme les bêtes!). Ce qui nous brise le coeur par contre, ce sont les femmes et les enfants marchands de babioles, qui sont harcelants, trop insistants, ce que nous n'avions pas vu encore en Jordanie. On a vu une mère enseigner à son bambin ses premiers mots: "One JD" (one Jordan dollar, le prix courant pour tous les gugusses touristiques). Une fillette, particulièrement rusée, réussit à nous vendre des cartes postales en nous les glissant sous le bras, puis en s'éloignant, sachant très bien que nous n'aurions pas le coeur de les garder sans payer...

C'est le début de la journée de travail pour les employés du site.

Une vendeuse bédouine, qui chantait, dansait, nous offrait des bouts de roche pour quelques JDs.

Deux jours plus tard nous repartons, émus d'avoir foulé ce sol, d'avoir visité ces maisons, ces temples, ces places publiques, dont nous avons à plusieurs reprises sentie l'âme, plusieurs millénaires plus tard. Une population disparue, mais dont les ombres peuplent maintenant nos souvenirs.

Pièces communicantes d'un temple dans le roc.


Ève Marie devant le Monastère.



Instant de bonheur au soleil.
Autre moment de bonheur.


Les couleurs...

Maisons et commerces creusés dans la pierre

Travail de restoration des mosaïques de la chapelle byzantine de Petra.
Gardien de Petra en habit traditionnel. Il s'appelle...Mohammed.
La trésoreroie, le palais le plus connu de Petra.
Pierres et colonnes, seuls vestiges des maisons détruites en 363 ap. J.-C.
Moment d'éternité à Petra.