Tanger, danger!
Marrakech, arnakech!
Agadir, rien à dire.
Taghazout? Pas de mazout!
C’est Rachid, commerçant de Taghazout, de qui nous achetons
des sandales, qui nous chantonne ses petites rimes. Il est originaire d’Agadir.
Il n’aime pas trop cette ville. Il a perdu de ses cousins dans le tremblement
de terre de 1960 qui a détruit la ville. Il nous dit qu’il connaît des gens qui
lui racontent comment ce fatidique soir, ils se trouvaient au cinéma, une des
rares bâtisses épargnées par le séisme où 15 000 ont péri, et qu’à la
sortie du film ils ont trouvée une ville plongée dans le chaos, envahie par
l’armée. Ils ont cru sur le coup, que c’était la guerre. Pour Agadir, c’était
pire que la guerre. Ils on dû recouvrir les morts de chaux en un immense
monticule pour éviter la propagation de maladies qui auraient achevé de décimer
la population. Puis ils ont reconstruit.
Il ne faut donc pas s’étonner qu’Agadir ait un petit air
sixties, qui, entendons-nous, n’a jamais été une époque phare en matière
d’architecture. C’est blanc, c’est carré, c’est pseudo europo-américano-moderne
sur fond imprenable d’océan scintillant et de plages ravissantes. Mais la
ville? Meh. Rien d’intéressant,
avons-nous pu constater lorsque nous sommes allés y passer la journée il y a 3
jours. Ce qui n’a sans doute pas aidé, c’est l’interminable méandre
administratif dans lequel nous avons englouti 3 heures de notre temps pour
poster un colis de cadeaux à nos enfants au Canada. « Il faut prendre un
numéro… » « Non, ce n’est pas ici, c’est l’autre comptoir dans la
petite salle « « Oui, normalement ce serait ici, mais nous sommes en
rupture de stock du formulaire; il faut aller à l’autre bureau de poste près de
la mosquée. Vous sortez, vous allez tout droit vers la mosquée. » «
Euh non, l’autre bureau de poste n’est pas ici, il est près de l’AUTRE mosquée… »
« Monsieur, il faut prendre un numéro « (238 et on sert en ce moment le
218) « 238! » « Ah non, il faut passer les douanes, l’autre
bureau à côté, mais faites vite, il ferme bientôt! »
Le monsieur à la douane est des plus sympathiques. Il
regarde nos cadeaux, veut savoir combien on a payé le couteau traditionnel,
puis nous aide à emballer le tout. Rien à payer. Juste l’envoi postal :
30$. Mission accomplie. On saura pour la prochaine fois. On va faire nos
courses dans un Uniprix (oui, oui, mais pas rapport) quelques bouteilles de vin
à rapporter à Taghazout qui est une « dry town ».
Taghazout (prononcé Tarhazoute) est un petit village de
pêcheur et de surfeurs, à environ 15-20 km au nord d’Agadir. Taghazout n’est pas fait pour tout le monde. À
Taghazout, les chats, les chèvres et les chiens sont rois. Les chevaux et les
chameaux sont rois de la plage. (Y a-t-il d’autres animaux dont le nom commence
par « ch »? On semble avoir un genre d’unité orthographique ici …Hm,
pas vu de chenilles… pas encore).)
Toujours est-il que Taghazout conserve un aspect
authentique, brut et non développé qui pourrait en rebuter certains. Aux
restos, où on mange toujours dehors, ou presque, les chiens et les chats sont
omniprésents et attendent patiemment qu’un bout de bouffe s’échappe de
l’assiette. Ils sont mignons. Ils ne sont pas menaçants; ils sont assis (les
chats) aux meilleures places du resto lorsqu’on arrive.
Les chèvres se promènent librement, en troupeau. Elles vont
arrêter complètement la circulation de l’autoroute (faut le dire vite; disons la
route principale) qui divise Taghazout en deux, pour traverser, avec leurs petits. Elles sont
également la phase #1 du processus de « transformation » du
dépotoir municipal qui se trouve, malheureusement, éparpillé aux 4 coins du
village. Les résidents jettent, brûlent leurs déchets dans les crevasses qui
sillonnent le flan de colline où est construit le village; les chèvres se
régalent. Elles sont franchement
mignonnes, mais on se demande toujours laquelle se retrouvera dans notre
assiette ce soir…
Pour ce qui est des chameaux, ben, ce n’en sont pas! Ce sont
des dromadaires; il n’y a pas de chameaux au Maroc. Ils flânent toujours sur
les plages avec leur maître qui passe ses après-midi à dormir à l’ombre qu’ils
procurent, lorsque les touristes se font rares. Et il faut dire qu’en janvier,
à part pour les surfers, les touristes sont rares. Car janvier, c’est la saison
du surf; et ils viennent de partout pour s’y adonner. Il s’agit d’une race
rare, à part des autres, des vrais de vrais, endurcis, convaincus et
déterminés. Des purs. Pas nécessairement très sympathiques. Des gens au-delà de
la passion, pour qui le surf est presque une religion. Un peu le même sentiment
qu’on retrouve chez les mordu d’escalade et d’ascension qui se retrouve une
fois l’an à Banff pour comparer leurs blessures de parcours.
Bref, Taghazout est une ville qui a une âme, une
personnalité et un je ne sais quoi … d’odeur, surtout par temps chaud. Les plus
vieux, vous vous souvenez quand, dans les années ’70 on s’est rendu compte
qu’il y avait de la « pollution » et qu’il fallait arrêter de jeter
impunément nos cochonneries par terre, et, surtout, par les fenêtres de nos
autos? (juste avant qu’on se rende compte qu’il fallait aussi arrêter de fumer
partout, mais ça c’est une autre histoire…) Ben, à Tag, il y a encore du chemin
à faire.
Mais l’océan, mais les vagues, mais le ciel et le vent… Les
vagues ne déferlent pas gentiment sur les plages de Taghazout, faisant un petit
shhhiiishooooouchiiiiisshhh, tout poli. Ben oui, des fois. Mais la plupart du
temps les vagues débarquent, elles s’abattent, elles grondent comme un tonnerre
roulant qui pulvérise des kilomètres de rochers, elles s’emparent de la côte et
la mâtent, elles « crashent », elles forment la trame sonore des
rêves épiques qui nous amènent à voyager encore davantage la nuit, au-delà de
nos journées, pour nous faire échouer au petit matin sur la plage d’un
lendemain ensoleillé, où les pêcheurs partent dans leurs barques bleues pêcher
le poisson de notre souper. Bref, pas de plage moumoune à Taghazout.
Une trame sonore qui m’attire, et m’appelle et où je vais me réfugier pour mieux planifier
un voyage imminent dans le désert des rêves de mon enfance. Ma plage me
manquera. Mais par pour longtemps.