Saturday, June 9, 2012


Après Izmir, retour à nos confortables babouches d’Istanbul. Ayant déjà fait le circuit touristique traditionnel (Hagia Sofia, Mosquée Bleue, etc.), on se laisse maintenant porter par le rythme de la ville. Au gré de nos promenades, d’un tram à l’autre, on découvre les coins sympathiques, les dédales de ruelles, les marchés d’épices… Près de l’hôtel, on gesticule pour se faire comprendre de notre gentille lavandière qui nous remet au propre – un luxe quand on est toujours en mouvement –  et on salue les marchands du coin, toujours prêts à nous offrir un thé et, qui sait, réussir à nous vendre une petite céramique ou un foulard. On se fraie un chemin dans l’incroyable foule qui envahit la foire du port pour effectuer une paresseuse croisière sur le Bosphore, on dîne sur une terrasse au troisième étage d’un resto sur le bord de l’eau, alors que le soleil cherche une chaleur qui n’arrive pas encore à s’épanouir. 

Foule sous le pont d'Istanbul

Les graffitis, c'est universel. On en voit partout.

Istanbul, ville sans fin.

Dans les restos près de notre hôtel, les beaux garçons dont le travail est d’attirer les touristes à leur restaurant  les interpellent dans une foule de langues. Hassim, 23 ans, avec qui on discute sur la terrasse presque déserte du restaurant, nous explique qu’il sait à l’apparence et au costume des gens quelle langue il doit utiliser. Et il se trompe rarement…Il prenait Eve Marie pour une Française et François, bien sûr, pour un Américain. Après quelques verres de vin local, on rentre à l’Hotellino. Notre dernière nuit.


Leitmotiv de notre voyage: on quitte Istanbul à regret. Beaucoup de regret. L'Hôtellino et Minet, nos marchands du coin. Les olives offertes en début de repas, notre lavandière et... fumer.... nous manqueront beaucoup. Même la neige, qui tombait à gros flocons sur les toits anciens.
Minet, proprio de l'Hotellino. Une femme vraiment lumineuse.

C'est au terme d'un interminable trajet de bus, qui nous fait découvrir la véritable étendue de cette ville et nous amène sur le côté asiatique de la métropole turque, que nous prenons l'avion vers Vienne.

Soleil et Shniztel dans un café de Vienne.
Le trajet de l’Orient-Express en deux heures de vol, et nous sommes de retour, un peu brutalement, en Europe. Vienne baigne dans un autre monde. On y trouve un rythme de vie plus impersonnel, effréné, et une sensibilité toute germanique. Urbanisme, bouffe, géographie, interactions humaines, esthétique : L’Orient est définitivement derrière nous. Sauf pour des considérations sartoriales, on passe du chaud au froid. Mais un froid efficace, rationnel, quadrillé. Vienne est ordonnée au quart de poil, maître de son histoire officielle. On fait les viennoiseries qui s'imposent. On marche beaucoup - très zoli - on mange des pâtisseries, on boit du café, on visite des châteaux-musées-palaces. 

Café Viennois et musée Freud.
Femme de pierre soutenant un vase, femme de chair accrochant un cadre.



Au pays de Schwarzzie, la musique classique est reine; même les trains sifflent des airs classiques quand ils quittent la gare. Sur les places publiques, on ne nous vend pas des forfait de visite guidées, on nous vend un concert de musique classique avec musiciens des orchestres symphoniques locaux, chanteurs d'opéra et danseurs de  ballet. On achète. Un programme tout ce qu'il y a de plus traditionnel : Mozart, Haydn, Lanner, quelques lieder et, bien sûr, l’incontournable pape de la valse autrichienne: Strauss.  Nous constatons aussi que la population est très diversifiée, multiculturelle. Par exemple, à Istanbul il n'y avait pas de Noirs. Ici, c'est le mélange des genres. Il y a beaucoup de blonds, et François commence à passer inaperçu.
Sculptures à Vienne: d'une main...
...à l'autre.

On mange des schnitzels, on amorce quelque pas de valse, seuls dans notre chambre. On grimpe dans le Prater, la grand roue qui nous offre une vue panoramique de la ville, où l’architecture très XIXe siècle côtoie l’ultra-moderne et flyée, aux courbes et angles impossibles. Mais notre coup de cœur, c’est la délirante bibliothèque de Léopold, vaste et invitant au recueillement, comme une église, avec une lumière magique qui la pénètre par de large vitraux, avec des dédales de "couloirs secrets" qui s'annoncent derrière des pans de rayons de livres qui s'ouvrent comme par magie. Tout ça sur 2 étages fabuleux, sillonnés d’échelles pour atteindre tous ces vieux grimoires.... François est au paradis.  Ève Marie est émue; de l'endroit, et de voir la lumière qui habite les yeux de François.
Majestueuse bibliothèque nationale.
Des milliers et des milliers de livres...
Léopold Premier, siégeant au milieu de la bibliothèque qu'il a crée.



Trois petits jours puis, munis de notre passe Euro-rail, cap sur Budapest. Nous avions peu
d'attentes envers Budapest. Elle nous a étonnés. Et conquis.

La ville est née de la fusion de trois entités distinctes. Buda, dans les collines, Pest, de l'autre côté de la rivière et sur la plaine, et Obuda.
       D’un côté de la rivière, perchés dans les collines, la citadelle (jamais
       vraiment utilisée) et le château, puis de l'autre côté, la vieille ville.
Buda et Pest, reliées par les ponts sur le Danube.

Nous avons pris un plaisir fou à déambuler dans les rues, apprivoiser le transport en commun, faire nos courses (nous avions un appartement 3 1/2, complètement meublé Ikea pour 30$ la nuit. Oui, Budapest, c’est pas cher.) On a même pu tester le système de santé hongrois par le biais d'une clinique privée internationale abordable; service impeccable, merci beaucoup.

Une tournée d'autobus Hop-on hop-off nous permet de nous orienter, de découvrir les centres névralgiques de la cité. Dimanche matin, on brunche au Café New York, qui se targue d'être l’un des plus beau du monde. Dans le style rococo et l’ornementation lourde, on ne fait pas mieux. Il s’en dégage un charme suranné, très fin-de-siècle. Le service est impeccable, le Maitre D en smoking, les serveurs en vestes blanches immaculées. Même pour le petit déjeuner, par ailleurs succulent et pas cher.
Café New York, triomphe rococo.

P'tit déj au Café New York.

 Les gens sont amicaux, avenants. L’architecture rappelle celle de Paris, en plus joyeux, avec des visages grimaçants sculptés au fronton des portes. L’ancien et le moderne se mélangent de façon organique. Dans le vieux quartier juif où nous habitons, les vieux immeubles craquants s’alignent les uns après les autres, interrompus à l’occasion par quelques atroces constructions de l’ère soviétique, en béton triste et massif.  Le 15 mars, un jeudi, on nous avise que tout sera fermé parce que c’est la commémoration de la révolution de 1848. Une des nombreuses tentatives de la Hongrie de se débarrasser de l’empire autrichien. La fête est sobre, digne, avec des gens qui défilent dans les rues avec des bannières aux messages que nous ne comprenons pas, chacun arborant un petit drapeau/ruban ou un brassard qui nous rappellent les coquelicots de chez nous. Les familles font des pique-niques, il y a des spectacles en plein air et nous, étrangers à tout cela, on se réfugie dans les bains publics. 

Ahhhh.... les bains de Budapest! Du côté de Buda, il y a une source d'eau chaude qui jaillit en divers lieux de la montagne. Cette eau, par les milliers de litres par jour, alimente les divers bains qui font la renommée de Budapest. Laissez faire Banff ou Radium; les bains de Szechenyi, dans un énorme complexe installé dans un palais jaune, sont sûrement les bains les plus chics d’Occident. À l'intérieur, une vingtaine de bassins différents, chacun avec sa particularité : sa température, composition chimique et…son odeur. Ce sont des bains naturels après tout, et l'odeur est moins forte que l'ancienne odeur des bains de Banff, à l'époque où c'était encore de l'eau sulfureuse qui les alimentaient. Puis dehors, 3 grandes piscines avec des fontaines magnifiques qui vous envoient de l'eau en jets revigorants sur la nuque et le dos. Sur le bord, de vieux messieurs jouent aux échecs, le corps dans l'eau et le jeu dans les marches. Une piscine est réservée à ceux qui veulent faire des longueurs et la troisième contient un espace étrange, en boucle autour d'une place centrale, comme un beignet, et qui envoie des jets qui propulsent les baigneurs en avant, dans le beignet, dans le sens inverse d'une montre. Imaginez que vous marchez dans l'eau, en rond, dans un genre de voie étroite où le courant, et les jets forts, vous propulsent par en avant: vous ne marchez plus, vous courez - non, vous volez à une vitesse vertigineuse. Du pur plaisir. Sous un soleil très chaud pour mars. Si chaud que l'on peut sortir des piscines et prendre un verre sur la terrasse du bord de l'eau. Puis s'y replonger. Bonheur.
Après quelques heures à passer d’un bassin à l’autre, tout mous, on s’abandonne enfin aux mains des experts qui nous font un massage d'une heure. Ok, on a eu un moment de panique lorsqu'on a vu le nom de la compagnie imprimé sur le t-shirt des employés: Annus Massza'sz... On a fait confiance à l'univers et notre dignité n’a pas été agressée. À la sortie, nos corps flottent au-dessus du trottoir, et c’est complètement reposés des aléas du voyage qu’on est sagement rentrés à chez nous, parce que le lendemain, le train nous amènera dans une autre ville magique, Prague.

Les fabuleux bains de Budapest.

Friday, May 4, 2012

Izmir (Smyrna), Turquie


IZMIR

Les hôtesses de Pegasus sont gentilles, même si leur anglais est approximatif. Par le hublot, les trouées de nuages nous permettent de voir la mer de Marmara, sombre, avec des paillettes d’argent quand le soleil s’accroche dans ses vagues mouvantes.

La journée a commencée tôt; On a laissé nos bagages à l’Hotellino, notre douillet refuge au cœur d’Istanbul, où nous reviendrons après cette excursion de quelques jours à Izmir. Chacun son sac sur le dos, on prend le métro jusqu'à l'aéroport, et on s’envole sur les ailes d’Air Pegasus, compagnie de vols à rabais. À l’aéroport d’Izmir, on prend le bus pour le centre ville, qui nous laisse à quelques rues de notre hôtel.

ÉCHANGE DANS LE BUS

-Coudon, Izmir c'est quoi la population?

-Euh, j'sais pas... je crois que c'est à peu près comme Red Deer?

-Ah, ok.

Au détour de quelques petites montagnes, on aperçoit la mer. Izmir, l’ancienne Smyrna, enlace les contours d’un bras de la mer Égée. En s’approchant, on voit au loin une série de tours d'appartements de l'autre côté du bras de mer.

-Euh, j'pense que c'est plus gros que Red Deer... Il n'y a pas des tours comme ça à Red Deer.

-Euh.., j'pense que oui, c'est un peu plus gros.

On aperçoit peu à peu l’étendue surprenante de la ville, des tours d’habitation à perte de vue. Izmir c'est balnéaire, c'est pittoresque et... c'est gros. On consulte l’oracle Google.

-Ok, j'ai trouvé: devine c'est quoi la population d'Izmir?

-Euh... 700 000?

- …

-Plus?... Un million?

-         

-... 2 millions?

- …

-Euh… 5 millions???

-Ok. 4 millions. C'est vraiment pas Red Deer.

Izmir, pas tout à fait Red Deer, malgré la rime...

Izmir, ville que peu d’entre nous connaissons, et qui pourtant dépasse en population la plus grande des villes canadiennes.

Avec ses promenades le long du bras de mer, ses mouettes et ses pélicans, ses traversiers qui sillonnent la baie, ses petites rues où il fait bon se perdre. Au détour de nos promenades, on découvre le quartier des… robes de mariée. Des rues et des rues de boutiques qui offrent les modèles les plus flyés, colorés, bigarrés, d’une esthétique craquante. Même nous, qui ne sommes nullement orientés « mariage », sommes séduits. Couleurs baroques, chiffon, crêpe de soie, taffetas, dentelles contrastées et bustier ornés d’éclats colorés nous séduisent. Il y a la robe d’inspiration gothique, la robe médiévale, la robe de classe, la robe trash, la robe orientale, la robe traditionnelle sobre, la robe Princess-Diana... Des variations culturellement diversifiées, qui réussissent à transcender le genre et devenir du grand art sartorial. 

Le festival de la robe de mariée.


Dans plusieurs  rues secondaires du centre ville, des marchands de cossins offrent par terre, dans la rue, avec à peine une voie libre pour autos et motos, une véritable quincaillerie d’outils, de petits appareils ménagers, vis, clous, pièce d’équipement et, comme partout en Turquie, des milliers de téléphones cellulaires.

Ravis de nos ballades, on rentre tôt à l’hôtel pour être frais et dispos le lendemain. Au programme : visite d’Éphèse, mégapole antique dont les ruines sont, dit-on, impressionnantes.

Èphèse, qui aura motivé notre déplacement à Izmir, ne sera finalement pas ce que nous retiendrons de l’aventure. Oui, c'est un lieu archéologiquement, historiquement important, et les vestiges de la bibliothèque sont imposants. Mais la restauration n’est pas aussi avancée que celle de Jerash, en Jordanie. Et les travaux qui sont en cours restreignent beaucoup la découverte que nous pourrions faire de l'endroit. 

Bibliothèque d'Éphèse


Première rencontre d’intérêt : notre guide, le sympathique Evran. La jeune trentaine, polyglotte, s’occupe de tours organisés en Turquie ou de voyages turcs en Italie. C’est la basse saison, et nous ne sommes que  4 dans le minibus: un couple cubano-français qui habite à Washington, et nous. Notre guide veut savoir ce que nous faisons dans la vie . L'homme du couple cubano-français - appelons-le Éric -possède une compagnie de logiciels pour l’industrie énergétique. Sa femme, appellons-la Josephina, se décrit ainsi: "I spend all his money". Ils rient. Ils s'aiment, ça paraît, ça nous plaît. Ils ont notre âge ou un peu plus.

Evran nous explique que la Turquie a une grosse dépendance énergétique vis-à-vis quelques pays en particulier. Peu de ressources sur le territoire, pas de pétrole, malgré de l'exploration au large de la mer Noire, jusqu'ici infructueuse. Il y a des plans pour construire 3 centrales nucléaires; la plus avancée, construite par la Chine, et deux autres, que se disputent la Russie, le Japon et les USA. Le gouvernement appuie cependant le développement des énergies durables, par le  biais de dégrèvements d'impôts et autres incitatifs financiers. Mais là encore, les entreprises étrangères sont les premières à en profiter, puisqu'elles disposent du capital qui manque aux compagnies locales. 

Le très-connaissant Evran, en train de nous parler de la maison de Marie.

Evran explique, pour nous gens des médias, que la Turquie n'a pas vraiment de liberté de la presse.  En théorie, oui, mais en pratique... Les médias publics sont entièrement contrôlés, même éditorialement, par l'état. Les médias privés, eux, font partie de conglomérats - résultat de la concentration de la presse - qui dépendent du gouvernement pour leurs contrats et leurs licenses. Soooo..... gentil-gentil avec gouvernement sinon va-te-coucher-dans-ta-chambre-pas-de-dessert.
Ça nous rappelle quelque chose, ce désir du gouvernement de contrôler les médias...hmmm…
Tout journaliste qui critique le gouvernement se voit soudainement aux prises avec les autorités pour des raisons officiellement toutes autres : problèmes d’impôts, d’actes criminels, etc..et c’est la prison. Evran nous parle aussi de religion, d'économie, d'histoire, de notre chauffeur, de tout et de rien. Il est sympathique et nous en apprenons énormément sur la Turquie.


LA MAISON DE MARIE
Premier arrêt : la maison de Marie. Oui oui, la maman du petit Jésus. Les catholiques se souviendront (du moins tout ceux qui ne vivent pas dans le péché) qu’alors qu’il était sur la croix, Jésus a dit à Jean son préféré : Jean, voici ta mère. Et à sa mère : Mère, voici ton fils. Eh bien, après la crucifixion, Jean est parti vivre à Éphèse, et on a supposé qu’il avait amené Marie dans ses bagages. 

La maison de Marie, reconstruite telle que les spécialistes en théologie pensent qu'elle aurait dû être...

À la fin du 19e siècle, une religieuse Allemande qui n’était jamais sortie de son pays a eu une série de visions, qui décrivaient en grands détails la maison de Marie. Des expéditions furent organisées et on finit par trouver l’endroit, un magnifique site au sommet d’une montagne surplombant la ville. On l’a accepté comme authentique, les papes l’ont sanctifié, deux d’entre eux l’ont visité et les pèlerinages ont commencé. On le visite le jour le plus froid de mémoire de Turc, et la neige qui couvre certains arbres fond à grosses gouttes quand le soleil se montre le bout du nez. Il y a trois petites fontaines encastrées dans le mur de pierre, et il ne faut boire que de l’une d’elle : une pour obtenir l’amour, une autre pour la santé, et la troisième pour l’argent. Alors on boit celle de…

Sur le site de la maison de Marie, un chat attend patiemment que la neige fonde.



De retour à Izmir après la visite d’Éphèse, on se balade sur l'eau à bord de traversiers. On observe les pélicans gober les poissons que les pêcheurs daignent leur donner (sous le regard jaloux des chats) et on se prélasse sous un doux et caressant soleil de mars. 

Un pélican attrape un morceau de poisson au vol...

...Alors qu'un chat jaloux se fâche.

On est mort de rire quand on découvre, dans un buisson, une partouze de chats : un mâle est monté sur une femelle, la tient d’une patte tout en lui mordant l’oreille, alors que le troisième larron essaie de monter le deuxième…le cliquetis de nos caméras qui croquent le portrait à répétition ne dérange pas le moins du monde la perverse petite troupe. Trop de fun, faut croire.

Two's a couple, three's a partouze..


Le soleil descend doucement sur Izmir, alors que l’avion grimpe dans les nuages. Rêveurs, on sombre dans un sommeil peuplé de ruines, de robes de mariée et de chats lubriques…

Ébats des chats lubriques.


Friday, March 23, 2012

Retour en arrière: Al Karak et la Mer Morte en Jordanie


Quand on vit le tourbillon du voyage, les dates s'entre-mêlent et on inverse les choses...voici notre visite de Kérak, ou Al Karak, en Jordanie, la forteresse des croisées, construite par Renaud de Chatillon (le méchant du film Kingdom of Heaven).

Vue du haut de Karak.  On comprend sa valeur géostratégique...


Après Petra nous avons mis le cap sur Karak pour y visiter le château fortifié. Je ne sais pas si enfant, vous avez eu cette image mythique de fortifications anciennes où on pouvait imaginer des dédales de donjons, de passages souterrains s'étalant en méandres sombres et mystérieux où de multiples aventures, tractations, pactes secrets se déroulaient sous le couvert de couloirs cachés? Les châteaux que l'on visite de nos jours nous montrent de vastes salles somptueusement reconstituées et décorées, des tourelles nous offrant de magnifiques vues des environs, des parapets où on peut déambuler sous le même soleil qui brillait sur les aventures d'autrefois. Mais dessous, qu'y avait-il? Comment y vivait - et mourrait - on?

C'est un voyage dans cet imaginaire sous-terrain que nous offre Karak, une forteresse construite par les croisées au 12e siècle sur les ruines de plus anciennes structures, et reprise par le général du grand conquérant Salâh ad-Dîn, mieux connu en Occident sous le nom de Saladin.

Oui, il y a bien toutes les fortifications en hauteur d’où on voit approcher l'ennemi. Oui, c'est un lieu d'où on peut apprécier l'importance stratégique et historique de son érection. Mais on peut également descendre et s'engouffrer dans les couloirs en labyrinthe qui sillonnent, sur plusieurs étages, les entrailles du château.

C'est avec un plaisir enfantin que nous nous sommes un peu perdus dans ces dédales. Les filles ont premièrement perdu François, et se sont elles-mêmes enfoncées dans les pièces s'ouvant sur d'autres pièces, ces couloirs presqu'étouffants qui remontent ponctuellement à la surface, comme pour y reprendre leur souffle. À droite ou à gauche? On est déjà passé par ici, non? Regarde, il y a un autre étage plus bas! François a fait la même découverte et erre lui aussi, heureux de ces labyrinthes.

Une partie des cuisines, qui devaient, littéralement, nourrir une armée.

Le plaisir de se perdre dans le dédales de couloirs souterrains d'Al Karak.

Une meurtrière, au détour d'un couloir étroit, dans un mur caché...


Au bout d'un moment, un guide en vêtements traditionnels bédouins, fin cinquantaine, s'approche des filles et les invite à entrer dans une salle sombre qu'il éclaire de sa lampe de poche en expliquant qu'il s'agissait d'une chambre à coucher. Il prend plaisir à utiliser le peu de français qu'il possède. Puis il les entraîne de pièce en pièce, de bon pas, en énumérant et détaillant ce qu'il dévoile au regard grâce à sa lampe: salle des cuisine, chambre à deux étages au bout d'un escalier noir comme l'encre, prisons... François les retrouve et se joint à eux: d'autres cuisines qui servaient à nourrir 10 000 personnes, les prisons où les prisonniers ont marqué le passage des années par des inscriptions gravées dans la pierre, les écuries sur deux étages, les lieux de culte, les presses de vin, les explications se multiplient. Il s'appelle Adel, et il est taquin, il aime jouer des tours. Il se dissimule dans des alcôves - et cache les filles avec lui - pour surprendre François. Il nous aide à grimper où on ne devrait pas, nous tient la main pour qu'on s'approche du bord d'ouvertures sur le vide, pose en photo avec nous avec bonheur. Avec les filles, surtout. Il nous explique qu'il a 10 enfants avec une seule femme. Il en est fier. Après tout, comme il nous le rappelle, il pourrait avoir quatre femmes...  Il semble TRÈS heureux de mettre son bras autour de la taille de filles pour les photos. Rien de déplacé, simplement étonnant en Jordanie. Il aura été un guide impeccable.

Adel, toujours prêt à prendre Ève Marie dans ses bras...

Le trio rigolo.

Dans la catégorie 'on se moque de François': couché pour prendre une photo rase-motte de l'escalier de pierre.

Alors que l'immensité du château l'entoure, François s'attarde sur la photo d'une pierre. Quand on regarde les arbres de trop près, on ne voit plus la forêt???

Eve Marie s'est débarrassé de François en le jetant aux oubliettes.


Puis, après un lunch rapide, on prend la route vers la mer Morte et ses grèves de sel. Objectif: se mettre les pieds dedans.

La route est belle et ensoleillée. On s’arrête sur le bord de la route, en haut d’une falaise surplombant la Mer Morte, pour voir une formation rocheuse qui serait, selon la légende, la femme de Lot, neveu d’Abraham. Cette dernière a été changée en pierre lorsqu’elle s’est retournée au moment de la destruction de Sodome et Gomorrhe. 
Statut de la femme de Lot, changée en pierre pour s'être retournée à la destruction de Sodome.

De notre promontoire, on observe ce ce corps d'eau ultra-salin, le point terrestre le plus bas au monde à 400 mètres sous le niveau de la mer. On ne l'appelle pas Mer Morte pour rien; rien ne peut vivre dans cette eau pourtant claire, qui devient trouble d'ondes salines dès qu'on la remue. 

Preuve qu'Ève Marie a bien été au bord de la Mer Morte...

...tout comme Florence...

...et François.

Formations salines au bord de la Mer Morte.
Un peu plus loin, alors que se prépare un majestueux coucher de soleil, on trouve un endroit pour y tremper les pieds. On y goûte, juste pour voir... Ouache: plus salé que ça, tu meurs. La plage de pierre est presque vide, si ce n’est la présence de deux jeunes hommes Jordaniens, très BCBG. Le plus petit s’appelle Ibrahim, le très grand Raffi. On se lance avec eux dans un concours de ricochet de pierre. Et dans l’eau de la Mer Morte, on compte parfois jusqu’à 15 ricochets!!! Après le coucher de soleil, ils nous invitent à prendre le café à côté du stationnement. On ne parle pas arabe, ils ne parlent pas anglais, sinon quelques mots. On gesticule, on mime, on a du plaisir. La nuit tombée, on se salue et on part chacun de notre côté, heureux d’un moment de communication amicale alors que le soleil se couchait sur Israël, à quelques kilomètres de l’autre côté de la mer, mais à des millions de milles de la réalité de nos copains Jordaniens. 

Caillou attrapé en vol lors de notre joute de ricochet.

Flo commence par se mettre le doigt dans la Mer Morte.

Notre nouveau copain Ibrahim.

Couché de soleil émouvant. Au loin, Israël, que nous n'aurons pas l'occasion de visiter.

Le lendemain, après avoir à nouveau bravé le dédale des rues d'Amman, on se lance à la conquête de Jérash, une des villes romaines les mieux préservées du Moyen-Orient.